Expositions

Andréas Vogt 1945-2008 par Edmond Charrière

Mesdames, Messieurs,

Une fois n'est pas coutume, je ne prends pas la parole par nécessité professionnelle, mais plutôt par devoir d'amitié - donc avec un mélange de plaisir et d'appréhension - puisque je connais Andreas Vogt depuis plus de vingt ans.

Nous avons en effet fréquenté, dans les mêmes années, le département d'histoire de l'art de l'Université de Genève, où nous avons suivi l'enseignement du professeur Maurice Besset, ami est exécuteur testamentaire de le Corbusier - heureuse coïncidence - qui a su nous enthousiasmer pour l'architecture et l'art contemporains.

On pourrait même remonter plus loin dans le temps, puisque nous étions l'un et l'autre, sans nous connaître vraiment, au Collège de Saint-Maurice dans les années 50... Nous avons donc bien quelques expériences et souvenir communs; des voyages d'étude - à Berlin notamment - des expositions, des discussions animées au sujet de Palladio ou d'Ellworth Kelly, mais à cette époque, Andreas ne faisait pas profession d'artiste, même s'il s'essayait discrètement à quelques expériences en la matière.

Après avoir emprunté quelques chemins de traverse, les choses se sont précisées au niveau de la création lors de son installation à Londres en 1986. Je n'ai donc pas une connaissance intime et précise de son travail, mais j'ai, depuis lors, toujours suivi ce qu'il faisait, même de loin en loin, à la faveur d'un déplacement à Londres, d'un passage en Suisse, d'une invitation à une exposition, ou des diapositives qu'il m'envoie parfois.

Lorsque je compare ces différentes rencontres avec son travail depuis une dizaine d'années, ces moments épisodiques et fugitifs, ce qui me vient d'emblée à l'esprit, comme je l'ai écrit dans le carton d'invitation, ce sont ces notions de fragmentation et de sédimentation qui, malgré les changements de médium , de manière et même de propos, étaient déjà en oeuvre dans les premiers travaux et se confirment dans les oeuvres récentes accrochées ici même: fragmentation et sédimentation de leur structure matérielle qui induit la fragmentation et la sédimentation de notre perception. A un autre niveau d'expérience, ces notions me semblent assez bien caractériser le travail de la mémoire et sur la mémoire qui constitue, comme l'écrit Andreas Vogt lui-même, l'objet fondamental de ses recherches.

Si maintenant je tente de décrire le processus de ma perception devant l'un ou l'autre de ces travaux, cela se passe, pour le dire simplement, de la manière suivante: d'abord une présence de l'objet par la sensation colorée, toujours assez prenante; puis cette présence semble me dérober quelque chose, une image que je cherche à débusquer derrière plusieurs couches de matière; l'image enfin que je crois alors saisir se dérobe à son tour en une multitude de fragments.

A ce point je me suis fait expliquer par Andreas comment il procédait matériellement;

il y a d'abord un substrat photographique, une planche contact découpée ou reproduite et souvent répétée, dont la couleur a été sélectionnée par ordinateur; puis ce substrat est recouvert d'un gel acrylique qui donne à l'image sa texture; des zones de résine synthétique permettent enfin de maintenir comme écran devant l'image une feuille de polycarbonate, elle même cellulaire et donc fragmentée, qui diffracte la lumière.

Par cette cuisine qui pourrait paraître sophistiquée, - soulignons à ce propos qu'Andreas aime aussi bien faire la cuisine, celle qui se mange - il cherche à restituer le travail de la mémoire qui, dans le même temps, recompose, retisse ce qu'elle disperse, dissémine. Diffracte à travers le temps, l’espace et le mouvement de la conscience.

Dans les œuvres qu'il a rassemblées ici, Andreas Vogt rend plus précisément compte du souvenir qu'il a des quelques années de son enfance passée à La Chaux de Fonds, à travers les lieux architecturaux qu'il a revisités récemment, en les photographiant, mais aussi en les confrontant à l'expérience  nouvelle et intérieur de la Villa Turque. En effet, l'architecture est ce qui semble avoir cristallisé le travail de la mémoire, mais elle devient aussi le lieu où ce travail trouve son achèvement. C’est ainsi que s'instaure, en l'occurence, un véritable dialogue entre les oeuvres et les différents espaces qui les reçoivent, chacune d'elles devenant ainsi fragment  d'une  totalité, d'une unité qui la dépasse.

C'est là, à mon sens le plus bel hommage qu'Andreas Vogt pouvait rendre à l'architecture de Le Corbusier, et partant, à La Chaux de Fonds.

Edmond Charrière

Conservateur du Muséé  d'Art  et d’Histoire de La Chaux de Fonds

Exposition Andréas Vogt 2007